On ne se….Cabane landaise

L’année nouvelle est arrivée. Elle est retournée vivre dans la maison des Landes, comme elle le fait six mois par an. Elle s’est donné un rythme avec deux constances dans l’année : la maison landaise entre janvier et juin, avant l’arrivée des touristes en tout cas, et les intermittences à la galerie, entre septembre et décembre. Elle n’aime pas l’été et c’est toujours un problème. Elle aime remonter vers le Nord à cette période. Un ami vit en Norvège et lui laisse son appartement durant les vacances scolaires si elle en a besoin. Plusieurs fois elle y a élu domicile, s’est ennuyée un peu mais se sent dans un autre monde qui la berce. Dans du coton, dans un conte de Grimm où personne ne mangerait personne. Elle se contente gaiement de  ne manger que du poisson sous toutes ses formes et des yaourths longs comme le bras. Des pains noirs et des fromages mous. Elle va à la piscine extérieure et son sauna. Cette piscine est ouverte 365 jours par an, quelque soit le temps. Elle est venue dans cet endroit en novembre et s’est baignée dans les vapeurs qui sortaient de l’eau. Tout le monde porte un peignoir et navigue entre la cabane en bois et le bassin qui fume. Les nageurs se distinguent vaguement, des fantômes avec des oreilles rouges.

Tout l’été elle marche le long de la côte et autour du port de pêche. Ses bateaux propres, rouges, bleus, verts, semblent immortels autant qu’immobiles. Pas de cris, pas d’appels, pas de bruits. Même les mouettes sont discrètes et se posent sans la regarder sur le rebord des coques. C’est un pays où elle se sent en sécurité et à l’opposé de tout ce qu’elle a vécu ailleurs. Une cure de rajeunissement mental. Cette année ira-t-elle ? A force, l’ami lui a donné des clés. Il lui suffira de le prévenir. Pour lui cela n’a pas d’importance. Souvent ils ne se voient pas ou en fin de séjour, pour une journée où il raconte son voyage, ses randonnées sur des cimes inconnues d’elle. Elle ne lui raconte rien, il connaît le quotidien de cette ville où il ne fait que travailler, prendre du bon temps et gagner un meilleur salaire que s’il était resté en France.

Elle n’y pense pas encore, elle peut se décider au dernier moment. Ce jour de janvier, elle regarde par la baie vitrée la forêt qui semble marcher vers la maison. Cette maison, sa mère ne l’aimait pas, elle la trouvait inconfortable. Son père y tenait, ce fut au départ la cabane des grands-parents. Une petite maison en bois, retapée laborieusement. C’est le jardin qui importait puisqu’il n’avait aucune limite officieuse. Officiellement des actes de propriété délimitent le bien acquis mais personne ne met de clôture dans le coin. La cabane semble minuscule au lieu de la pinède. Sa mère avait toujours peur des feux ou des tempêtes. « Cette maison nous tombera dessus ! » râlait-elle. L’ameublement est minimum et d’un goût rustre. Couvres-lits à carreaux vert bouteille, canapé marron bien trop mou, cuisine minuscule. Un grand poêle chauffe les trois pièces toutes de plain pied  comportant chacune leur accès au dehors, ce qui rend la forêt encore plus présente. La cabane habite au sein des arbres, elle leur appartient

A la mort du père sa mère n’y met plus les pieds et meurt l’année suivante et c’est elle qui reprit le lieu à son compte. Sa sœur ne venait plus en Europe depuis son dernier mariage. Le boulot de l’un, celui de l’autre et une grande maison dans le Vermont accaparait leurs maigres jours de congès. Elles étaient très dissemblables. Leur affection était intacte mais n’avait besoin de partager aucune réalité dans leur vie d’adulte. Elles ne le regrettaient pas.

La cabane des Landes c’était tout pour elle. Les grands pins l’abritaient. Sous ses pieds le sable était son tapis volant. Elle n’avait peur de rien dans cet endroit et n’était jamais arrivée à comprendre ce qui repoussait sa mère à ce point. Sans doute des histoires d’avant, d’avant le mariage de ses parents, des secrets gardés de la vie de son père qu’elle connaissait si peu. Elle aimait penser qu’il lui avait donné cette maison, qu’il avait toujours su qu’elle viendrait y vivre plus tard. Elle le lisait dans son regard quand ils marchaient tous les deux dans la forêt et qu’il lui expliquait la vie des arbres. La main dans sa main. Il ne le disait pas mais elle entendait une petite voix interne qui sortait de lui pour entrer dans son ventre à elle et la supplier «  Tu ne me laisseras pas hein ? Tu reviendras ici. ». Elle entendait maintenant la petite voix ronronner de janvier à juin, avec elle. Elle avait tout de suite appris à ronronner de concert avec la petite voix qui la suivait partout et la conseillait. Malheureusement cette voix ne vivait que dans cet endroit, dans la maison même. Mais c’était déjà ça.

Deux semaines auparavant elle avait eu une réponse d’Antoine qui vivait bien à Manille et avait en charge quarante pays alentours. Il était prêt à étudier les possibilités pour Nils. Un stage de dix mois avec un cahier des charges serré, une remise à jour de leur stratégie de communication et un séminaire avec trois pays d’Extrême Orient à organiser. Les mails avaient transféré de l’un à l’autre et elle ne fut pas surprise de savoir que Nils prenait l’avion ce mois ci pour rencontrer Antoine et lui permettre de se faire une idée plus précise du travail.

Cela lui paraissait très vite joué, trop beau pour être possible, mais elle se souvenait avoir vécu de telles précipitations. Un rendez-vous, une décision à prendre dans la semaine qui suivait, pas moins. Une valise dans le mois et un billet d’avion qui ne permettait plus aucun retour en arrière. On ne sait comment mais tout à coup une des choses les plus importantes pour vous vous tombe dessus, vous attrape au col violemment, comme au fond d’une favela en pleine nuit, vous colle au mur et vous crie  » Vas -y !! ». Mais elle était sûre que, contrairement à elle, Nils ne regretterait jamais rien. Qu’il ne regrettait jamais.

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